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Plainte contre Tariq Ramadan : l’antisémitisme se déchaîne envers Henda Ayari

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Par Cécile Chambraud

[LU SUR LE WEB] Depuis qu’elle a accusé l’islamologue de viol, l’ancienne salafiste est la cible d’injures et de théories du complot sur Internet.

Dans les jours qui ont suivi sa plainte pour viol et agression sexuelle contre l’islamologue Tariq Ramadan, les injures contre Henda Ayari ont afflué sur les réseaux sociaux. Si les messages de soutien à l’ancienne salafiste ont été nombreux, ceux qui lui sont hostiles ont un ton haineux d’une rare violence. « Elle est chamboulée mais libérée et déterminée » compte tenu du « contexte particulièrement agressif », ont résumé ses avocats Jonas Haddad et Grégoire Leclerc, jeudi 26 octobre, lors d’une conférence de presse. […]

Lire la suite sur le site du Monde.

Voir aussi :


Un hors-série de GEO Ado pour éviter les pièges du complotisme

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A destination des jeunes (et des moins jeunes), le magazine GEO Ado propose un utile vade-mecum pour éviter les pièges du complotisme.

GEO Ado, hors-série, automne 2017.

Comment reconnaître une théorie du complot, faire la part des choses entre lanceurs d’alerte et désinformateurs conspirationnistes, entre vrais scandales et canulars, entre intox délibérées et manipulations avérées ? Comment la communauté scientifique est-elle mise à mal par des thèses délirantes comme le platisme, le créationnisme ou la croyance dans les chemtrails ? Comment le complotisme alimente le racisme ? C’est à toutes ces questions – et à bien d’autres – que le numéro hors-série consacré en cette fin d’année 2017 par GEO Ado entend répondre.

Emaillé d’interviews de professionnels ayant travaillé sur la déconstruction du conspirationnisme comme les enseignants Rose-Marie Farinella ou Ronan Cherel, le magazine aborde les grandes théories du complot actuellement en circulation, des plus « historiques » (le premier pas de l’homme sur la Lune, les attentats du 11-Septembre, les attentats de janvier 2015…) aux plus chimériques (les Illuminati, les extra-terrestres…), fait le point sur les limites de notre cerveau et les dangers d’internet. Le sociologue Gérald Bronner plaide pour un apprentissage des outils permettant de reconnaître les situations où notre intuition peut nous tromper et qui constituent selon lui l’authentique esprit critique.

Affaire Ramadan : Edwy Plenel dénonce une « cabale médiatique » contre Médiapart

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Vendredi 10 novembre 2017, Edwy Plenel a dénoncé sur son compte Facebook une « cabale médiatique » lancée contre son journal. Comparant l’ancien Premier ministre Manuel Valls à Marcel Déat, chef de file des néo-socialistes à la fin des années trente et figure de la Collaboration avec l’Allemagne nazie, le directeur du site Médiapart s’estime victime d’une « campagne » destinée selon lui à mener, à travers les attaques dont il fait l’objet, une « guerre aux musulmans » (sic).

Accusé nommément par Manuel Valls de « complaisance » à l’égard de l’islamologue suisse Tariq Ramadan et caricaturé en une de Charlie Hebdo, Edwy Plenel considère que les critiques visant Médiapart s’inscrivent dans le cadre d’une « offensive de Manuel Valls pour revenir au premier plan ». Il accuse « une gauche égarée » de s’être alliée avec « une extrême droite identitaire » pour la rejoindre dans « la diabolisation de tout ce qui concerne l’islam et les musulmans ». Il compare également la caricature réalisée par la dessinatrice Coco à la célèbre Affiche rouge, une affiche de propagande antisémite et xénophobe placardée sous l’Occupation et présentant comme des criminels dix résistants appartenant au groupe Manouchian.

En janvier 2015, sur Canal +, Edwy Plenel, avait qualifié Tariq Ramadan d’« intellectuel respectable », expliquant n’avoir « aucun désaccord sur le fond » avec le prédicateur islamiste, avec qui il a partagé un micro à trois reprises, lors de deux conférences et d’une visioconférence. « Encore une fois, je le lis et je l’écoute et je ne vois pas d’ambiguïté » avait-il ajouté.

Réagissant hier sur France 5 aux accusation d’Edwy Plenel, Riss, le directeur de Charlie Hebdo, les a qualifiées de « pathétiques ».

Tariq Ramadan est visé depuis la fin du mois d’octobre par deux plaintes pour viol. Il fait également l’objet de multiples accusations de harcèlements, menaces et violences sexuelles qu’il attribue à « une campagne de calomnie qui fédère assez limpidement [ses] ennemis de toujours ».

En 2016, Médiapart avait publié une enquête en cinq volets sur Tariq Ramadan sans qu’aucune allusion à son comportement avec les femmes ne soit évoquée. Fin octobre 2017, le journal en ligne fondé par Edwy Plenel avait été critiqué, notamment par des abonnés du site, pour son « silence assourdissant » quant aux graves accusations qui étaient portées depuis plusieurs jours contre Tariq Ramadan pour violences sexuelles. Auteur de plusieurs déclarations complotistes, l’islamologue est critiqué de longue date pour son refus de condamner la lapidation des femmes, préférant se prononcer en faveur d’un « moratoire » sur cette pratique en vigueur dans certains pays musulmans.

Voir aussi :

Taguieff : « l’offre complotiste rencontre une demande, et elle la satisfait »

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Pierre-André Taguieff

Propos recueillis par Nicolas Monier.

Nicolas Monier : Pourquoi la théorie du complot peut-elle se fixer aussi bien sur les attentats du 11-Septembre, de Charlie Hebdo, du Bataclan que, par exemple, sur la prétendue « mort » de Beyoncé ou la maladie supposée d’Isabelle Adjani, obligée de venir sur le plateau d’un journal télévisé pour se justifier ?

Pierre-André Taguieff : Il ne faut pas chercher des traits communs dans les contenus des récits complotistes, qui peuvent porter sur n’importe quel événement ou n’importe quelle série d’événements. Il faut privilégier les producteurs de complotisme, qui en sont souvent aussi des diffuseurs, et se demander quels sont les bénéfices cognitifs, émotionnels et culturels qu’ils tirent de leurs activités sur le Web. Rappelons que la pensée complotiste consiste avant tout à attribuer des intentions conscientes et des intérêts réels aux sujets supposés conspirer, afin d’expliquer certains événements troublants, lesquels peuvent être inventés de toutes pièces.

Ce qu’il y a de commun, en premier lieu, entre les producteurs de ces récits complotistes, c’est la passion du dévoilement, le goût des révélations, le plaisir pris à diffuser des informations fausses ou douteuses qui expriment une forme de transgression ou marquent un écart par rapport au discours médiatique « normal », supposé mensonger. Leur posture commune est celle du contestataire, de l’insoumis, du rebelle, qui ose éclairer l’envers caché des événements troublants, qu’ils soient réels ou chimériques. À cet égard, sur le plan cognitif, les acteurs complotistes jouent le rôle d’alter-experts ou d’anti-experts (en ce qu’ils mettent en cause les experts officiels), ce qui les fait exister sur le Web et par là nourrit leur narcissisme. Ils se présentent comme des esprits critiques et des chercheurs de vérité, voire des messagers de « la vérité ». Ils peuvent devenir ainsi, pour leur public captif, des héros. C’est, en deuxième lieu, la passion de l’accusation, de la dénonciation et de la condamnation morale, qui leur permet de prendre la figure de juges et de justiciers exerçant leur devoir civique, ce qui leur confère un statut moral, proche de celui des « lanceurs d’alerte ». C’est, en troisième lieu,  l’exploitation massive de la crédulité des Internautes, qui est devenue un business à part entière. Autrement dit, l’offre complotiste rencontre une demande, et elle la  satisfait. Cette demande est centrée sur des « secrets » inavouables que les médias officiels sont censés protéger. Bien entendu, la grande différence entre le traitement complotiste du 11-Septembre et le bobard de la mort de Beyoncé tient à ce que celui-ci est dénué de motivations politiques, contrairement à celui-là, qui s’inscrit dans diverses formes de propagande, relevant par exemple de l’anti-américanisme ou de l’antisionisme.

N. M. : Quelles explications voyez-vous à ces théories ? Certains parlent de raisons sociologiques, psychologiques, philosophiques ? Est-ce un peu tout cela à la fois ?

P.-A. Taguieff : Depuis les années 1990, les tentatives d’explication du phénomène complotiste se sont multipliées, mobilisant toutes les sciences sociales ainsi que l’histoire et la philosophie. Mais il n’existe pas de théorie générale qui fasse consensus. Partons d’une définition générale. On entend par « théories du complot » (conspiracy theories) les explications naïves – ou supposées telles –, s’opposant en général aux thèses officiellement soutenues, qui mettent en scène un groupe ou plusieurs groupes agissant dans l’ombre ou en secret pour réaliser un projet de domination, d’exploitation ou d’extermination. Les conspirateurs imaginés sont accusés d’être à l’origine des événements négatifs, perturbateurs, troublants ou traumatisants dotés d’une signification sociale. Il s’agit d’interprétations paranoïaques de tout ce qui arrive dans le monde, d’interprétations prenant une forme narrative, transmises comme des légendes ou des rumeurs, et se présentant comme dotées d’une valeur explicative. La posture du soupçon, lorsqu’elle se constitue en habitude, engendre une « paranoïa routinisée ». La passion motrice de ceux qui croient à des complots fictifs est la peur, laquelle peut se transformer en angoisse face à des signes annonciateurs d’une catastrophe, ce qui confère à la vision complotiste un horizon apocalyptique.

Il n’est pas de pensée conspirationniste sans événements déclencheurs, qui, perçus à la fois comme importants et ambigus, appellent des investigations de la part de journalistes, de « chercheurs de vérité » (truthers) ou de citoyens-enquêteurs faisant surgir de véritables communautés interprétatives, lesquelles se traduisent depuis les années 1990 par des sites et des blogs plus ou moins spécialisés, où l’on observe le phénomène de « polarisation de groupe ».

Une hypothèse explicative me semble féconde : elle consiste à supposer que les récits complotistes répondent au besoin psychologique d’ordre ou de structure stable dans la perception des séries événementielles, l’impératif étant d’échapper à tout prix à l’anxiété liée au sentiment de la marche chaotique du monde. Le moteur des raisonnements complotistes  est l’insatisfaction face aux explications données des événements. C’est de cette insatisfaction cognitive porteuse de suspicion que dérive le principal topos du discours complotiste contemporain, qui met l’accent sur le doute : « On a le droit de se poser des questions ». Et ce doute inscrit celui qui l’assume dans une sorte d’aristocratie de l’esprit, ce qui renforce ou restaure son estime de soi.

Plusieurs travaux ont établi que les personnes qui croient à une « théorie du complot » sont plus susceptibles de croire aussi à d’autres « théories du complot », et que la croyance aux récits complotistes est significativement corrélée avec l’anomie (notamment avec le sentiment d’aliénation), le manque de confiance interpersonnelle et l’insécurité professionnelle. D’autres études ont établi que les « théories du complot » sont plus susceptibles d’être crues par des individus qui sont eux-mêmes disposés à comploter ou à participer à des conspirations. De tels individus projettent donc sur les autres leurs propres désirs de conspirer. Autrement dit, lorsqu’un individu pense « ils conspirent », c’est notamment et souvent parce qu’il pense « je conspirerais » (à leur place). Le mécanisme de la projection permet de comprendre pourquoi le machiavélisme (exploiter ou instrumentaliser cyniquement les autres pour un profit personnel) et l’absence de sens moral (refuser toute action altruiste) constituent des facteurs complémentaires de l’adhésion aux théories du complot.

Parmi les fonctions psycho-sociales remplies par les récits conspirationnistes, les principales sont celles qui relèvent du besoin d’expliquer et de comprendre et celles qui relèvent du besoin de se défendre contre la menace. Il s’agit, d’une part, d’expliquer (de croire pouvoir expliquer) la marche obscure du monde en la simplifiant par l’identification des puissances occultes incarnant des ennemis impitoyables, réduits à un ennemi unique, tel le Juif, à la fois franc-maçon, bolchevik, démocrate, capitaliste, mondialiste et sioniste. C’est là désigner l’ennemi absolu, dans une perspective manichéenne, en croyant posséder la clé de l’Histoire, laquelle permet de supprimer l’une des grandes sources d’anxiété : le sentiment que les événements sont inexplicables.

Il s’agit, d’autre part, de se défendre contre la menace, ou plutôt de croire pouvoir le faire, en dévoilant les secrets des ennemis cachés. Publier ou diffuser les Protocoles des Sages de Sion (ou des textes sur le « Gouvernement mondial occulte », les Illuminati, etc.), c’est révéler ce qu’on pense être la vraie nature de l’ennemi, lui arracher ses masques, percer à jour ses projets et ses stratégies. La force des croyances conspirationnistes vient donc de ce qu’elles produisent deux illusions rassurantes : expliquer l’inexplicable et maîtriser l’immaîtrisable.

Isabelle Adjani invitée au JT de TF1 le 18 janvier 1987. En pleine épidémie de sida, l’actrice fait l’objet d’une fausse rumeur selon laquelle elle serait séropositive.

N. M. : Dans le cas d’Isabelle Adjani, des études ont montré que son intervention a renforcé la rumeur : les gens ne la croyaient pas ! Avez-vous une explication ? Que faut-il faire ?

P.-A. Taguieff : Les effets pervers des démentis ont été depuis longtemps mis en évidence par les sociologues qui ont étudié les rumeurs. Les victimes de rumeurs malveillantes doivent ainsi éviter de monter au créneau, car l’indignation affichée renforce le soupçon (« il n’y a que la vérité qui blesse ») et renforce l’intoxication. Intervenir publiquement pour récuser une rumeur sans fondement empirique a pour premier effet de contribuer à la diffuser en lui donnant ainsi une existence médiatique. La règle du silence médiatique est plus efficace. Mais il est vrai qu’il est difficile, pour une victime, de s’abstenir de réagir.

N. M. : À partir de quand sont nées ces fameuses théories du complot ? Quel est d’après vous le premier faux complot ? On a l’impression que ce sont toujours les mêmes ennemis ! Les Juifs, les françs-maçons, la CIA, les « forces de l’argent » ? Pourquoi d’après vous ?

P.-A. Taguieff : L’esprit complotiste n’est nullement une invention récente. Mais il serait hasardeux de dater historiquement l’apparition des complots imaginaires ou des récits complotistes. Donnons cependant quelques repères. Le motif du complot juif contre la société chrétienne se constitue historiquement autour de l’accusation d’empoisonnement des fontaines et des puits, qui surgit en 1321 en Aquitaine sous la forme de la fiction d’un complot judéo-lépreux. Durant l’hiver 1321, cette  accusation de complot valut aux lépreux d’être massacrés avec l’aval de Philippe V le Long, roi de France. La chronique du monastère de Sainte-Catherine (Mont-Saint-Aignan) rapporte les faits en caractérisant, sur la base des aveux des lépreux, les deux thèmes d’accusation visant ces derniers : s’ils ont comploté, c’est à la fois pour tuer les non-lépreux et pour dominer le monde. La croyance au grand complot jésuite apparaît au début du XVIIe siècle et a conservé des défenseurs jusqu’au milieu du XXe. La thèse du complot maçonnique ou maçonnico-philosophique pour expliquer la Révolution française est une invention de l’abbé Lefranc, en 1791-92, reprise et développée par l’abbé Barruel en 1797-99 dans ses Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme. Sa thèse centrale est que la Révolution française a été préparée par une conspiration associant les Encyclopédistes, les Francs-Maçons et les Illuminés de Bavière, en supposant que les Francs-Maçons, héritiers des Templiers, ont été  les « instruments inconscients du complot ourdi par les Templiers ». D’où la légende complotiste qui ne cesse de refaire surface : celle des « Illuminati ». Le complot juif se transforme, au cours du XIXe siècle, en un complot international, sur le mode d’une refonte du complot maçonnique dénoncé par les théoriciens contre-révolutionnaires (d’où l’invention du « complot judéo-maçonnique ») ou sur celui du complot ploutocratique ou capitaliste illustré par la figure des Rothschild (ce qui donnera le « complot judéo-capitaliste »). Au XXe siècle, la vision du grand complot mondial trouve son principal vecteur dans le célèbre faux antijuif connu sous le titre Protocoles des Sages de Sion, document publié pour la première fois en Russie en 1903.

L’avènement des sociétés démocratiques a aiguisé le goût du démasquage, face à un pouvoir devenu énigmatique, celui du peuple. Nombre de théoriciens sociaux, révolutionnaires ou contre-révolutionnaires, ont été saisis par le démon du soupçon, et se sont montrés obsédés par la question du type « Qu’y a-t-il derrière ? » Ils ne pouvaient pas croire que la démocratie était telle qu’elle semblait être. Et ce doute était porteur d’anxiété. Ils s’interrogeaient sur ce que pouvaient dissimuler les apparences du pouvoir démocratique,  postulant que l’essentiel se trouvait derrière la scène visible et le décor, dans les coulisses. Ils ont émis l’hypothèse que, derrière l’apparent pouvoir du peuple, se cachait le pouvoir réel de groupes agissant secrètement. Derrière la souveraineté du peuple, ils discernaient l’existence de puissances occultes exerçant réellement le pouvoir : sociétés secrètes imaginées sur le modèle de la franc-maçonnerie et fantasmées comme « judéo-maçonniques », financiers cosmopolites (souvent assimilés aux Juifs), etc. L’anxiété des démystificateurs s’est dès lors colorée d’indignation et de colère.

Pour comprendre la persistance des croyances complotistes, il faut supposer qu’elles répondent à une demande de sens et de cohérence : pour les adeptes du complotisme, l’ennemi invisible et diabolique explique tous les malheurs des humains et, en même temps, réenchante le monde, serait-ce en le peuplant de démons. Il est difficile de dissiper des illusions lorsqu’elles fonctionnent comme des nourritures psychiques.

 

L’auteur : Directeur de recherche au CNRS, Pierre-André Taguieff a publié plusieurs ouvrages sur les théories du complot : La Foire aux « Illuminés ». Ésotérisme, théorie du complot, extrémisme, Paris, Fayard/Mille et une nuits, 2005 ;  L’Imaginaire du complot mondial. Aspects d’un mythe moderne, Paris, Fayard/Mille et une nuits, 2006 ; Court Traité de complotologie, suivi de Le « complot judéo-maçonnique » : fabrication d’un mythe apocalyptique moderne, Paris, Fayard/Mille et une nuits, 2013 ; Pensée conspirationniste et « théories du complot ». Une introduction critique, Toulouse, Uppr Éditions, e-book, 2015.

(Interview réalisée par échange de courriers électroniques début juillet 2017.)

Gérard Filoche relaie un photomontage complotiste antisémite, l’efface puis dénonce une « cabale »

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Dans la soirée du 17 novembre 2017, Gérard Filoche a relayé sur son compte Twitter un photomontage (ci-dessus) mêlant plusieurs références aux traditionnelles thématiques complotistes d’extrême droite : « axe américano-sioniste », « complot judéo-ploutocratique » pour la domination du monde, banalisation du nazisme, inversion accusatoire assimilant les Juifs aux nazis…

Le visuel représente Emmanuel Macron affublé d’un brassard nazi où la croix gammée est supplantée par le symbole du dollar américain. En arrière-plan, trois personnalités juives font figure de marionnettistes de l’ombre : l’homme d’affaires Patrick Drahi, le baron Jacob Rothschild et Jaques Attali. Derrière eux, des billets de banque. L’attelage surplombe un globe terrestre flanqué d’un drapeau américain et d’un drapeau israélien.

Publié originellement sur le site d’Alain Soral, Egalité & Réconciliation, en février 2017, ce montage fait l’objet de poursuites judiciaires par le ministère public, la LICRA et l’UEJF.

Contributeur de Siné Hebdo et Siné Mensuel ou encore de L’Humanité Dimanche, Gérard Filoche est une figure de l’aile gauche du Parti socialiste (PS). Il est membre de son Bureau national. Samedi 18 novembre, suite au tollé provoqué par la diffusion de ce montage antisémite, le PS a annoncé avoir engagé une procédure d’exclusion à l’égard de cet ancien inspecteur du travail de 71 ans, par ailleurs encarté à la CGT et membre de l’association alter-mondialiste Attac.

Dans la nuit du 17 au 18 novembre, Gérard Filoche a d’abord bloqué un certain nombre d’internautes, comme Joseph Macé-Scaron, lui faisant remarquer le caractère complotiste de son tweet. Il a ensuite estimé être la cible d’une « cabale en meute » qualifiant l’association d’Emmanuel Macron à l’argent de « totalement banale » :

Sur Facebook, Gérard Filoche a également expliqué que cette « cabale » n’avait « aucune base », concluant que  « ceux qui continuent [à lui reprocher son tweet] le font pour d’autres motifs ».

Dans une interview accordée à Libération, Gérard Filoche dit avoir supprimé ce « mauvais tweet » dès qu’il a été averti de son caractère problématique : « J’ai retiré ce message et je me suis excusé, c’était une connerie. Où est le problème ? ». Il précise également ses accusations contre « la team Macron » et « l’aile droite du PS ».

Gérard Filoche a relayé plusieurs messages de soutien. Parmi eux, celui de l’activiste Jonathan Moadab (ci-contre) qui l’avait interviewé en 2011. Co-fondateur des sites complotistes Le Cercle des Volontaires et Agence Info Libre, cet employé de Russia Today France s’est illustré par le passé en collaborant au film L’Oligarchie et le Sionisme, de Béatrice Pignède, et en interpellant, en février 2014, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius quant à l’attaque chimique de la Ghouta perpétrée par l’armée syrienne en août 2013.

 

Voir aussi :

Disparition d’Edward Herman à l’âge de 92 ans

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Edward S. Herman (1993)

Edward S. Herman (1925-2017) est mort le 11 novembre dernier à l’âge de 92 ans. Professeur d’économie et figure de la gauche radicale américaine, il était l’auteur principal de Manufacturing Consent [La Fabrication du consentement] (1988), un célèbre essai co-écrit avec Noam Chomsky et proposant une analyse à nouveaux frais du concept de propagande en milieu démocratique.

Critiqué dans les années 1970 pour sa complaisance à l’égard du régime des Khmers rouges au Cambodge, Herman a adopté au cours des dernières années des positions plus que controversées en matière de politique internationale.

Concernant le génocide de 1994 au Rwanda, Edward Herman et David Peterson écrivaient ainsi dans The Politics of Genocide (2010), que « la majorité des victimes étaient probablement les Hutus et non les Tutsis », qualifiant le FPR (tutsi) de Paul Kagamé de « premier génocidaire ». Une inversion victimaire relevant d’un discours classiquement « négationniste » comme le dénonça notamment le chercheur Adam Jones.

Dans The Srebrenica Massacre (2011), Herman affirmait également que « le bilan de 8000 tués, souvent avancé dans la communauté internationale, est une exagération insoutenable. Le vrai chiffre pourrait être plus proche de 800 » (sic). Des propos là encore entachés de complaisance avec la version nationaliste serbe de l’assassinat de milliers de civils musulmans de Bosnie en juillet 1995 qui demeure la pire tuerie de masse en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Pourquoi prive-t-on des élus FN de déplacement à Auschwitz ?

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Retour sur l’histoire mouvementée des rapports entre le Front national et le négationnisme.

Deux élus Front national (FN) du Conseil régional d’Ile-de-France se sont vu refuser, la semaine dernière, la possibilité de faire partie d’un déplacement de lycéens sur le site de l’ancien camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau (Pologne).

Alors que la Région entend par cette décision « préserver la sérénité de ces déplacements à Auschwitz », le parti lepéniste a annoncé son intention de porter plainte pour discrimination à raison des idées politiques.

Le négationnisme appartiendrait en effet à l’histoire ancienne du FN. « Tout le monde sait ce qui s’est passé dans les camps et dans quelles conditions. Ce qui s’y est passé est le summum de la barbarie » déclarait ainsi Marine Le Pen au magazine Le Point quelques jours après son accession à la présidence du parti début 2011.

L’exclusion de Jean-Marie Le Pen à l’été 2015, après avoir réaffirmé que « les chambres à gaz étaient un détail de la guerre », venait sceller cette volonté de tourner la page d’une histoire faite de complaisance avec le négationnisme. Pourtant, le négationnisme resurgit régulièrement dans le sillage du FN, comme un sparadrap dont on n’arriverait décidément pas à se débarrasser.

Fin avril 2017, lors de la dernière élection présidentielle, l’exhumation d’un entretien du furtif président par intérim Jean-François Jalkh exposait des propos appartenant sans aucune ambiguïté au registre négationniste. Quelques semaines plus tôt, un responsable frontiste niçois filmé en caméra cachée, Benoît Loeuillet, reprenait à son compte les thèses de Robert Faurisson. Pour les municipales de mars 2014, Pierre Panet, un proche de Dieudonné M’Bala M’Bala et Robert Faurisson, figurait sur la liste Rassemblement Bleu Marine (RBM) du 12ème arrondissement de Paris. En 2012, la journaliste Claire Checcaglini, auteure de Bienvenue au FN, journal d’une infiltrée (éditions Jacob-Duvernet, 2012), révélait que Jacques Kotoujansky, membre du comité d’action programmatique du FN sur la santé, était aussi un adepte des thèses négationnistes.

Importé au sein du FN par François Duprat dans les années 1970, le négationnisme fait comme partie de l’ADN du parti d’extrême droite. Jusqu’à son assassinat en mars 1978, Duprat resta le fournisseur attitré de la propagande négationniste au sein de l’extrême droite française et internationale. Il diffusa, entre autres, la brochure de Richard Harwood, « Six millions de morts le sont-ils réellement ? », considérée comme l’un des classiques du négationnisme (voir ci-contre).

Mêlant les rhétoriques complotiste et négationniste, l’éloge funèbre de François Duprat, publié dans l’organe officiel du FN Le National, va jusqu’à suggérer que celui-ci a été éliminé précisément en raison de son activisme « révisionniste » :

« Et puis enfin, pour mieux conditionner encore nos concitoyens, il y avait tous ces tabous hérités du second conflit mondial. En tant qu’historien soucieux de vérité historique, tes patientes études t’avaient amené à remettre en question ces « mensonges nourriciers », à t’attaquer à tous ces tabous et préjugés grâce auxquels l’ennemi a réussi, depuis plus de trente ans, à imposer son exécrable domination. Tu faisais partie de ce qu’il est convenu d’appeler l’école historique « révisionniste » et, naturellement, tu te trouvais en relation avec d’autres historiens de même tendance, tel ce R. Harwood, dont tu diffusais en France l’une des brochures les plus explosives, comme tu l’écrivais dans les Cahiers. Explosive, hélas oui, c’est bien le cas de le dire puisque en la diffusant, tu signais par là-même ton arrêt de mort. »

Au milieu des années quatre-vingt, le négationnisme devient l’un des thèmes politiques du FN. Il est régulièrement activé par Jean-Marie Le Pen et certains responsables frontistes. Le 13 septembre 1987, invité de l’émission de radio Le Grand Jury RTL – Le Monde, le président du FN qualifie les chambres à gaz de « point de détail de la Seconde Guerre mondiale ». Il explique qu’il n’a pu voir de ses yeux des chambres à gaz, qu’il n’a pas étudié spécialement la question, se demande si « c’est la vérité révélée à laquelle tout le monde doit croire »… et de conclure par ces mots : « Des historiens débattent de ces questions ». L’année suivante, Jean-Marie Le Pen s’illustrera à nouveau par un calembour douteux (« Durafour-crématoire ») visant le ministre de la Fonction publique Michel Durafour.

La thématique négationniste constitue alors un élément à part entière de l’idéologie du FN qui intègre dans ses programmes électoraux l’abrogation des lois Pleven et Gayssot réprimant respectivement le racisme et la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité jugés par le tribunal militaire international de Nuremberg.

Dans l’organe officieux de la formation lepéniste, National Hebdo, on peut lire en août 1996, sous la plume de Martin Peltier :

« Nous autres, à l’extrême droite, sommes fondamentalement révisionnistes. Pourquoi ? Parce que nous aimons l’Histoire, c’est un trait constitutif de notre esprit politique, et que la méthode historique n’est rien d’autre qu’une révision permanente. […] L’extrême droite, dans toutes ses composantes, est révisionniste par construction. Elle s’emploie à rétablir l’Histoire constamment faussée du déclin français ».

L’année suivante, le même Martin Peltier écrit, toujours dans les colonnes de National Hebdo, que si cette « bataille de la mémoire peut sembler oiseuse » aux Français, elle est en fait « déterminante ». Loin d’être un « détail », les chambres à gaz représenteraient en fait le « cœur du dispositif d’exclusion des nationaux ».

Plusieurs cadres du parti participent alors à l’entreprise idéologique de négation. Parmi eux, Bruno Gollnisch [1]. Le 11 octobre 2004, le délégué général du FN fait plusieurs déclarations publiques légitimant le négationnisme. Pour ces propos, il est suspendu de ses fonctions de professeur d’université en 2005.

Parmi les autres épisodes marquants de l’histoire conjointe du FN et du négationnisme, il faut également citer la remise d’un « prix de l’infréquentabilité » à Robert Faurisson au Zénith de Paris le 26 décembre 2008 par Dieudonné M’bala M’bala. Dans la salle, on remarque – entre autres – la présence de Jean-Marie Le Pen et de sa fille Marie-Caroline, de Dominique Joly, un conseiller régional FN élu sur une liste menée par Marine Le Pen, de l’essayiste de la nouvelle droite Alain de Benoist et d’un proche de Marine Le Pen, Frédéric Chatillon, ancien dirigeant du syndicat étudiant d’extrême droite Groupe union défense (GUD).

« C’est l’antisémitisme, expliquait le vice-président du FN Louis Aliot fin 2013, qui empêche les gens de voter pour nous. Il n’y a que cela. »[2]

 

Notes :

[1] Bruno Gollnisch est condamné le 18 janvier 2007 par le tribunal correctionnel de Lyon à trois mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende pour contestation de crimes contre l’humanité. Le 28 février 2008, la cour d’appel de Lyon confirme le jugement. Bruno Gollnisch se pourvoit en cassation. En juin 2009, la Cour de cassation annule la condamnation.

[2] Entretien de Louis Aliot avec Valérie Igounet, 7 décembre 2013.

Focus sur le nouvel antisémitisme dans le dernier numéro de la Revue des deux Mondes

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« Revue des deux Mondes » (décembre 2017-janvier 2018).

Alors que les actes antisémites ont représenté 40 % des actes racistes enregistrés en France au cours des cinq dernières années (et que les Juifs constituent moins de 1% de la population), la Revue des deux Mondes consacre son dernier numéro à la condition juive en France. L’occasion de dresser un état des lieux de la « nouvelle judéophobie » comme a proposé de la désigner Pierre-André Taguieff au début des années 2000.

Commentant les affaires Gérard Filoche et Tariq Ramadan, le chercheur insiste sur l’installation, « à l’extrême gauche et dans les milieux islamistes », d’une vulgate antijuive qui ne serait que « la confirmation de la grande diffusion des thèmes centrés sur la diabolisation des juifs, notamment grâce aux réseaux sociaux qui sont le principal vecteur des insultes et des menaces antijuives, et plus largement de tout ce qui est de l’ordre des rumeurs malveillantes et des récits de complot ».

Quant à l’extrême droite, elle est selon lui « assez peu mobilisée, notamment du fait qu’elle a le regard tourné vers l’immigration d’origine extra-européenne et ce qu’elle perçoit comme une islamisation des nations européennes ».

« Si des marginaux de l’extrême droite, comme les réseaux d’Alain Soral ou les animateurs de l’hebdomadaire Rivarol, sont impliqués dans la mobilisation antijuive actuelle, l’extrême gauche, alliée avec les milieux islamistes dans l’agitation « antisioniste », joue un rôle infiniment plus important », estime Pierre-André Taguieff.

La suite de l’interview est à lire ici.


P. Stefanini : « Quand vous êtes en campagne, la théorie du complot ne vous sert à rien »

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Patrick Stefanini (« C à vous », France 5, 27 novembre 2017)

L’ancien directeur de campagne de François Fillon, Patrick Stefanini, était l’invité lundi 27 novembre de l’émission « C à vous », sur France 5. Interrogé sur le complot dénoncé pendant la campagne présidentielle par son candidat sur fond de PenelopeGate, il a déclaré :

« Je ne sais pas qui sont les hommes ou les femmes du complot. Il nous avait annoncé qu’il le dirait. Pour l’instant, on reste un peu sur notre faim. […] Moi je suis pas assez naïf pour penser qu’il ne s’est rien passé, qu’il n’y a pas eu des hommes ou des femmes qui peut-être, connaissant cette faiblesse de François Fillon, ont essayé de l’instrumentaliser, je n’en sais rien ! Donc je ne l’exclus pas. Ce que je dis, par contre, c’est que quand vous êtes en campagne, quand le train est lancé, quand vous êtes dans la bagarre politique, la théorie du complot elle ne vous sert à rien. Vous pouvez l’invoquer autant que vous voulez, ça vous sert à rien, je pense que ça vous ramène aucun électeur, peut-être que ça consolide un peu votre base à droite, et encore j’en suis même pas convaincu. Donc je crois que, honnêtement, ça nous servait à rien ».

Dans le livre d’entretiens qu’il publie ces jours-ci (Déflagration. Dans le secret d’une élection impossible, Robert Laffont, 2017, 418 pages), Patrick Stefanini ne fournit aucun élément de nature à étayer la thèse d’une machination politico-médiatico-judiciaire contre François Fillon. Le candidat malheureux de la droite à l’élection présidentielle a en effet quitté la vie politique sans avoir diffusé les preuves qu’il affirmait détenir d’un complot tramé contre lui. Patrick Stefani révèle en outre que son candidat « savait manifestement, dès le mois de décembre [2016], que la situation professionnelle de sa femme suscitait des questions ».

Dans la chronique qu’il a consacrée à l’ouvrage de Stefanini, Thomas Legrand fait valoir qu’« en gagnant la primaire, François Fillon devenait candidat et devait, à ce titre, rendre public la source de ses revenus. Il suffisait de lire cette déclaration de ressources pour pointer les revenus de Pénélope Fillon, attachée parlementaire que personne n’a jamais croisée à l’Assemblée. Pas besoin de cabinet noir ni de gorge profonde pour que les journalistes mènent vite et bien une enquête simplissime. […] Qu’ils aient été aussi alimentés par des opposants ou des concurrents, c’est probable et dans la nature des choses. Mais, sauf preuve du contraire (que François Fillon est incapable de fournir), il ne s’agit pas d’un complot ».

Djihadistes : un conspirationnisme protéiforme et opportuniste

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Quels rapports les djihadistes entretiennent-ils avec la rhétorique complotiste ?

« Global Crusaderism » : Dans son allocution du 17 novembre 2017, le leader d’al-Qaïda, Ayman az-Zawahiri, s’inscrit dans la mobilisation victimaire obsidionale des groupes djihadistes [1]. Ce « croisadisme » sous l’égide des Etats-Unis, néologisme empreint de conspirationnisme, est accusé de complaisance envers l’Etat islamique (EI) afin d’accentuer le schisme du djihad international.

Conséquence ou coïncidence, quelques jours plus tard, le 20 novembre 2017, était reprise sur un groupe Telegram de la mouvance djihadiste une rumeur forgée en mai 2017 dans la complosphère (capture d’écran ci-contre) : les Etats-Unis auraient fourni pour 1 milliard de dollars d’armes à l’EI selon un rapport d’Amnesty International. Ce rapport, publié le 24 mai 2017, faisait en réalité simplement état d’une faille de contrôle dans le transfert d’armes en Irak et au Koweït. Reconnue par le Pentagone, cette faille serait due à de multiples facteurs, essentiellement de l’ordre de la négligence : une dispersion des bases de données d’enregistrement, un reporting largement manuel et une absence de suivi des armements livrés à l’armée régulière irakienne.

Au-delà de l’anecdote et du questionnement sur une possible corrélation entre les allégations d’az-Zawahiri et son écho dans la djihadosphère, on peut s’interroger sur les modes d’instrumentalisation de ce genre de théories du complot au sein des groupes djihadistes, aussi bien dans la propagande officielle de groupes comme Al-Qaïda et l’EI que parmi leurs cybermilitants.

Si les théories du complot constituent l’un des vecteurs de la radicalisation, en cela qu’elles nourrissent la thématique de l’humiliation et le ressentiment qui lui est corollaire, polarisant ses membres et son vivier de recrutement contre l’« exo-groupe », les groupes djihadistes adoptent vis-à-vis de celles-ci une posture opportuniste aux contours mouvants.

Certaines de ces théories (en particulier le complot judéo-chrétien visant à dominer les pays musulmans) sont régulièrement abordées dans la propagande et activement exploitées par des recruteurs notoires, comme le djihadiste français pro al-Qaïda Omar Omsen dans ses vidéos 19HH (allusion aux 19 pirates de l’air du 11-Septembre, les deux H symbolisant les Twin Towers) ou encore Rachid Kassim, membre de l’Etat-islamique ayant téléguidé ou inspiré près d’une vingtaine d’attaques en France, par exemple dans une vidéo de la Province de Ninive diffusée le 20 juillet 2016 suite à l’attentat de Nice, où il évoque les lobbies sionistes, pétroliers et ceux des fabricants d’armes qui manipuleraient le gouvernement français.

Parallèlement, néanmoins, les groupes djihadistes rejettent avec virulence ce conspirationnisme dès lors qu’il remet en cause la paternité de leurs actes. La « propagande par le fait » caractérisant l’un des buts affichés de ces organisations, sa remise en cause constitue alors une atteinte à leur légitimité, leur crédibilité et leur capacité d’action. Ainsi l’EI s’insurge-t-il régulièrement dans sa propagande officielle contre les relectures conspirationnistes mettant en doute la réalité de ses actions. Dans une démarche comparable, az-Zawahiri et Ben Laden ont revendiqué – az-Zawahiri encore ces derniers mois – les attentats du 11 septembre 2001 de façon répétée, insistante, de sorte à faire taire les rumeurs de complot florissantes.  Son allocution du 5 janvier 2017 en atteste, où il fustige les Iraniens dénonçant al-Qaïda comme des « agents de l’Amérique et d’Israël » et les pays du Golfe accusant ce même groupe d’être « des agents de l’Iran ». Az-Zawahiri rejette ces accusations, évoquant quelques minutes plus tard une… conspiration visant al-Qaïda : la campagne « croisée-laïque-safavide-chinoise-hindou ».

L’instrumentalisation du conspirationnisme par les groupes djihadistes est donc à géométrie variable, et son usage n’est ni une démarche nouvelle, ni un phénomène rare. A titre d’exemple, dans son allocution [2] du 25 août 2016, az-Zawahiri évoquait la conspiration de « l’occupation safavide-croisée » prétextant l’élimination de l’EI pour attaquer l’Irak et y éliminer les populations sunnites.

Les théories du complot sont également instrumentalisées de façon parfois plus ponctuelle, opportuniste ou tactique par les groupes djihadistes.

Il est notable que les accusations d’entente ou de complaisance des Etats-Unis envers l’EI sont également évoquées par Hassan Nasrallah, leader du Hezbollah, dans son discours du 20 novembre 2017, l’exploitation d’une même théorie par des groupes potentiellement hostiles, voire rivaux, constituant alors une synergie ponctuelle au service d’intérêts communs.

On note également très récemment l’apparition d’une lecture potentiellement complotiste de l’attentat de la mosquée al-Rawda à Bir al-Abd dans le Sinaï du 24 novembre 2017 par le théoricien djihadiste Abou Mohammed al-Maqdissi. Al-Maqdissi a suggéré que cet attentat (bilan de 305 morts à ce jour) pourrait avoir été orchestré par le gouvernement égyptien ou être le fait d’une vengeance tribale. Se posant comme « rassembleur des courants djihadistes », al-Maqdissi pourrait s’appuyer sur cette thèse soit pour continuer à pointer du doigt le président égyptien al-Sisi comme l’ennemi proche à combattre, soit pour ne pas accabler l’EI dans un but de rapprochement, soit encore pour épargner à ses partisans dans le Sinaï, Jund al-islam, qui subira les représailles de l’armée égyptienne, un second front de lutte avec l’EI. Le silence médiatique de l’EI en aval de l’attentat, alors qu’il conserve jusqu’à présent une solide crédibilité en termes de revendication, attise cette thèse reprise dans la djihadosphère (les autorités égyptiennes seraient soucieuses du ralliement de certaines tribus du Sinaï à l’EI et chercheraient à annihiler ce soutien en attribuant leur propre attaque à l’EI).

En parallèle, des accusations à l’encontre d’Israël commencent à émerger (pour l’instant hors de la sphère djihadiste où elles pourraient néanmoins trouver écho), en tant que « partie suspecte […] hostile à un compromis égypto-palestinien », pays déstabilisateur de la région, ou souhaitant reprendre le Sinaï.

Chaque groupe positionne ainsi une lecture de l’attentat le plus meurtrier de l’histoire récente d’Egypte en appuyant directement son agenda politique, stratégique, propagandiste.

 

Notes :

[1] Cette vidéo, consacrée à Umar Abd ar-Rahman, « Le géant qui ne plia pas », a été diffusée par as-Sahab Média.

[2] « Message concis pour une communauté victorieuse – partie 3 ».

 

L’auteur : Laurence Bindner (@LoBindner) est la co-fondatrice d’une expertise de cyber intelligence portant sur l’analyse de la rhétorique et de la dissémination des contenus djihadistes en ligne.

Théorie du complot sur la mort de Bob Marley : le site de Sean Adl-Tabatabai a encore frappé

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Capture d’écran du site complotiste YourNewsWire

Bob Marley est mort en 1981, à l’âge de trente-six ans, des suites d’un cancer diagnostiqué quatre ans plus tôt. Au nom de ses convictions religieuses rastafariennes, il avait refusé de suivre les recommandations de ses médecins rappellent Les Décodeurs du Monde. Mais une théorie du complot veut que le roi du reggae a été assassiné par la CIA.

C’est ce vieux serpent de mer complotiste qui a ressurgi ces derniers jours à la faveur d’un article publié sur YourNewsWire annonçant qu’un ex-agent de la CIA – un dénommé « Bill Oxley » – aurait avoué sur son lit de mort avoir assassiné Bob Marley au moyen d’une paire de Converse All Stars équipée d’un clou empoisonné.

Le site de Sean Adl-Tabatabai est spécialisé dans la diffusion de fausses nouvelles de ce genre. Celle-ci, illustrée par une photographie issue d’une banque d’images en accès libre, s’est répandue en moins d’une semaine comme une traînée de poudre dans de nombreux pays. Avec, parfois, la caution de responsables politiques de premier plan. C’est ce que révèle Hugo Pérez Hernáiz sur Venezuela Conspiracy Theories Monitor.

Capture d’écran du site de l’émission « Con el Mazo Dando »

Le hoax sur les prétendus aveux d’un ancien agent de la CIA a été relayé par le site de « Con el Mazo Dando » avant de l’être dans les colonnes du journal gouvernemental vénézuélien Correo del Orinoco. « Con el Mazo Dando » est une émission de télévision hebdomadaire diffusée sur la chaîne publique VTV. Elle est animée par Diosdado Cabello, un proche d’Hugo Chavez, accusé de corruption, et considéré comme le numéro deux du régime actuellement au pouvoir à Caracas.

Pour Jean-Luc Mélenchon, « les USA soutenaient en sous-main Daech en Syrie »

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Faits alternatifs. Dans un billet polémique revenant sur son récent passage dans « L’émission politique » (France 2) publié sur son blog lundi 4 décembre 2017, le leader de la France insoumise (LFI) affirme que les Etats-Unis ont soutenu secrètement l’organisation Etat islamique. Une théorie du complot développée depuis des années sur des médias pro-Bachar El-Assad, iraniens, russes ou conspirationnistes, mais qu’aucun fait n’a jamais corroborée.

Jean-Luc Mélenchon écrit :

« Dorénavant, tout le monde sait à quoi s’en tenir sur les bombardements de l’époque. Les USA soutenaient en sous-main Daech en Syrie ».

Des accusations rapidement dénoncées sur les réseaux sociaux par plusieurs observateurs attentifs de la région :

Le 5 décembre, le compte Twitter de la Team Macron, animé par des partisans du président de la République, s’est emparée de l’affaire, suggérant que les sources d’information du député LFI sont à chercher du côté de « sites d’extrême droite ou pro-russes » tels que Sputnik, Arrêt sur info ou Medias-Presse.info :

Interpellé par Conspiracy Watch dès mardi sur les sources l’autorisant à affirmer une telle thèse, qui rejoint des obsessions conspirationnistes martelées depuis des années par des médias iraniens et russes, Jean-Luc Mélenchon n’a pas donné suite à nos demandes répétées (ici et ) .Les comptes Twitter officiels de LFI, des « Jeunes insoumis·es » et de Le Média (réputé étroitement lié à LFI) sont également demeurés muets.

« Pour la séparation du CRIF et de l’État » : petite histoire d’un slogan complotiste

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Paris, Place de la République, 9 décembre 2017 (crédits : SB).

Comment un mot d’ordre marqué au coin du complotisme anti-juif le plus éculé se répand, lentement mais sûrement, dans les rangs des amis de la Palestine.

Dans un contexte marqué par la décision du président américain Donald Trump de reconnaître unilatéralement Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël, plusieurs associations pro-palestiniennes ont protesté contre la venue en France, en ce dimanche 10 décembre, du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou.

A l’initiative de BDS France (Boycott Désinvestissement Sanctions), des organisations comme Attac, Ensemble ! (le mouvement de la députée Clémentine Autain), le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), le Parti des Indigènes de la République (PIR), l’Union juive française pour la paix (UJFP) ou encore le Collectif pour la libération de Georges Ibrahim Abdallah, se sont retrouvées hier après-midi à Paris, Place de la République, pour manifester leur mécontentement.

En ce jour anniversaire de la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905, la CAPJPO-EuroPalestine, une association antisioniste radicale animée par Olivia Zémor, a déployé une banderole aux couleurs du drapeau palestinien appelant à la « séparation du CRIF et de l’Etat ». C’était déjà le mot d’ordre d’une manifestation organisée par la CAPJPO un peu plus tôt dans l’année, le 1er avril 2017, pour laquelle la Maire de Paris Anne Hidalgo avait saisi la Préfecture de Police. Un mot d’ordre dont les origines se confondent avec l’histoire… de l’extrême droite.

Le 6 février 1959, pour le 25ème anniversaire du 6 février 1934, véritable « mythe fondateur » de l’extrême droite, Pierre Sidos organise un grand meeting parisien pour lancer son Parti nationaliste. Il y appelle à la « séparation de la Synagogue et de l’Etat ». L’expression fait évidemment allusion à la loi de 1905, dont l’article 2 dispose que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » ; elle sous-entend surtout que l’Etat est scandaleusement soumis au pouvoir caché des Juifs.

Si l’Alliance israélite universelle, une association internationale venant en aide aux Juifs persécutés, cristallisa longtemps sur elle les fantasmes de « complot juif mondial », ce sont aujourd’hui la Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme (Licra) et le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (Crif) qui passent pour incarner le cœur battant de ce pouvoir juif caché qui dicterait sa volonté à la République, en dépit des alternances politiques. Au centre du réquisitoire : le fameux dîner annuel organisé par le Crif, et les démarches qu’en tant que groupe de pression il se targue d’effectuer auprès des pouvoirs publics. Avec des résultats concrets en demi-teinte. Dernier exemple en date : l’appel de son président à ce que la France s’engage dans la même démarche que celle des Etats-Unis quant au transfert prochain de son ambassade à Jérusalem.

C’est à partir de l’année 2012 que l’on trouve, sur les réseaux sociaux, les premiers appels à la « séparation du CRIF et de l’Etat » :

Les occurrences se multiplient dans le contexte des rassemblements pro-palestiniens de juillet 2014, sur fond d’offensive israélienne dans la bande de Gaza. A cette occasion, le slogan fut largement diffusé par l’association proche des Frères musulmans Havre de Savoir :

… ainsi que par les islamologues François Burgat et Tariq Ramadan :

… par le spécialiste du Qatar Nabil Ennasri :

… ou encore le groupe Facebook « Combattons la shoah en Palestine » (sic) :

A l’occasion des élections législatives 2017, l’expression a été reprise à son compte par l’association d’extrême droite Civitas, d’Alain Escada :

Quelques semaines plus tôt, Christian Gerin, un producteur d’émission de télévision pressenti pour représenter La République en Marche (LREM) aux législatives dans une circonscription de la Charente-Maritime, avait vu sa candidature lui être retirée en raison, notamment, d’un tweet où il appelait à la « séparation du CRIF et de l’Etat » :

Pour avoir alerté sur la « connotation antisémite » de cette publication, la LICRA avait été accusée par Christophe Kantcheff, directeur de la rédaction de Politis, d’« instiller un soupçon infâme », et LREM de se soumettre à « une forme de police de la pensée ». Contacté par notre rédaction, Christophe Kantcheff ne nous a pas répondu. Relancé, il nous a bloqués.

Reste que jusqu’à la manifestation du 1er avril 2017 (événement auquel participa le PIR, soutenu par des personnalités comme le politologue Olivier Le Cour Grandmaison, la sociologue Christine Delphy ou l’ancienne élue écologiste Alima Boumediene-Thiery et relayé par les sites conspirationnistes Le Cercle des Volontaires, Le Pouvoir Mondial et Le Grand Soir), aucun rassemblement de soutien au peuple palestinien ne s’était placé sous le mot d’ordre « pour la séparation du CRIF et de l’Etat ».

Que signifie la banalisation de cette expression ? L’historien Samuel Ghiles-Meilhac, auteur de Le CRIF. De la Résistance juive à la tentation du lobby. De 1943 à nos jours (Robert Laffont, 2011), rappelle que « de nombreuses associations pro-palestiniennes n’ont pas appelé à participer à la manifestation du 1er avril dernier, organisée par la CAPJPO-EuroPalestine. Cela témoigne de divisions incontestables dans la galaxie pro-palestinienne. Pour autant, le développement d’un tel slogan entretient l’idée de la toute-puissance du Crif. Ceux qui le relaient tentent de choquer les esprits. En fait, ils s’inscrivent dans le discours du livre d’Anne Kling, Le CRIF, un lobby au cœur de la République, paru en 2010 et vendu aujourd’hui sur le site d’Alain Soral. L’auteure s’appuie sur l’idée qu’il existerait une emprise et un entrisme juif au sein de la République. Ce thème de la « séparation » renvoie à l’idée qu’il faudrait couper quelque chose qui empêcherait l’Etat de respirer, d’être vraiment indépendant de toute influence. C’est une rhétorique porteuse de violence potentielle ».

Anonymous France, François Asselineau et la Dissidence

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Où la maladresse d’un administrateur d’une page Facebook complotiste confirme la porosité existant entre les sympathisants de François Asselineau et « la Dissidence », nom que se sont donné les activistes évoluant dans la galaxie formée par le tandem Alain Soral-Dieudonné.

Dans sa dernière vidéo, la journaliste-youtubeuse Aude Favre s’intéresse à la page « Anonymous France », un compte Facebook conspirationniste suivi par plus d’un millions d’utilisateurs et se présentant – faussement – comme une émanation du mouvement de hackers homonyme.

Après être parvenue à identifier l’administrateur principal de la page pour l’interpeller au sujet d’une fausse information virale diffusée par « Anonymous France » concernant l’élection présidentielle (qui, calculs ineptes à l’appui, aurait en réalité été remportée par Marine Le Pen et non par Emmanuel Macron…), ce dernier lui révèle qu’en matière électorale, les informations lui viennent de… François Asselineau, le président de l’UPR ! Puis de préciser que ce dernier partage avec « la Dissidence » – une allusion claire à la complosphère soralo-dieudonniste – « les mêmes sources d’informations » :

« Je sais qu’il y a un nom qui est spécialiste là-dessus, sur tout ce qui est électoral, c’est François Asselineau. En fait, les gens qui travaillent avec nous travaillent aussi avec lui. […] En fait, c’est les mêmes sources d’informations, ce qu’on appelle « la Dissidence », et Asselineau a les mêmes sources d’informations ».

 

Dans une précédente vidéo, Aude Favre avait identifié l’animateur de la page Facebook « On sait ce qu’on veut qu’on sache » (149 000 abonnés), un internaute répondant au pseudonyme d’Alain Proviste et l’avait confronté par téléphone à l’une de ses intox.

Candidat lors de la dernière élection présidentielle, François Asselineau avait fait campagne sur le thème du Frexit. Bien que bénéficiant d’un temps de parole audiovisuel équivalent à celui des dix autres candidats durant les deux semaines précédant le premier tour du scrutin, le président de l’UPR fut régulièrement renvoyé à ses ambiguïtés en matière de théories du complot. Il n’était finalement parvenu à réunir sur son nom que 0,9 % des suffrages.

Récusant tout lien avec l’extrême droite, le mouvement de François Asselineau a longtemps frayé avec des figures de la complosphère francophone comme lors de ses universités d’automne 2012 où il convia le co-fondateur du Réseau Voltaire Alain Benajam, le blogueur Etienne Chouard ou encore Robert Ménard. Patrick D’Hondt, alias Tepa, actuel animateur de la web-TV conspirationniste META TV, est par exemple un ancien porte-parole et délégué départemental en Seine-Saint-Denis de l’UPR.

La « Dissidence » a essayé d’organiser son premier congrès à Bruxelles au mois de mai 2014 à l’initiative
de « Debout les Belges », un groupuscule fondé par Laurent Louis et capitalisant sur la contre-culture soralo-dieudonniste. Y étaient notamment attendus, en plus d’Alain Soral et Dieudonné M’Bala M’Bala, Pierre Hillard, Hervé Ryssen, Kemi Seba, Jacob CohenSalim Laïbi (alias « Le Libre Penseur »), ou encore Noël Gérard (alias « Joe Lecorbeau », administrateur des sites Croah.fr puis QuenelPlus.com).

L’OTAN a-t-elle vraiment promis à la Russie de ne pas s’élargir à l’Est ? Pas si simple…

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Capture d’écran (compte Facebook de RT France)

Un peu d’anachronisme, un soupçon de révisionnisme et beaucoup de propagande… : bien que l’élargissement de l’OTAN ne fut jamais à proprement parler l’objet de discussions entre Occidentaux et Soviétiques dans les années 1990-1991, le mythe d’une « promesse non tenue » qui aurait été faite à la Russie a la vie dure.

C’est un élément de langage qui est martelé par Vladimir Poutine et ses alliés depuis plus de dix ans : les pays occidentaux se seraient prétendument engagés auprès de la Russie à ne pas étendre les frontières de l’Alliance atlantique dans les pays anciennement membres du Bloc de l’Est.

Ancien speechwriter du Secrétaire général de l’OTAN, Michael Rühle est catégorique : « il n’y a jamais eu, de la part de l’Ouest, d’engagement politique ou juridiquement contraignant de ne pas élargir l’OTAN au-delà des frontières d’une Allemagne réunifiée ». De fait, aucun traité ni accord international ne mentionne une quelconque « promesse » de ce genre. Un thème qui, selon le politologue Olivier Schmitt, professeur associé au Center for War Studies (University of Southern Denmark), « fonctionne comme un motif récurrent servant à alimenter un fantasme d’encerclement », argument utilisé par les « admirateurs du régime russe pour justifier son agression en Ukraine, comme si l’OTAN n’avait jamais cessé de vouloir détruire la Russie » (voir Pourquoi Poutine est notre allié ?, Hikari éditions, 2017).

La publication, mardi 12 décembre, d’une analyse de 30 documents déclassifiés sous le titre « NATO Expansion: What Gorbachev Heard » [« Elargissement de l’OTAN : ce que Gorbatchev a entendu »] réalisée par les chercheurs Svetlana Savranskaja et Tom Blanton, est venue relancer la machine à fantasmes. L’article est paru sur le site de National Security Archive, une association américaine à but non lucratif ayant pour mission de publier des documents officiels déclassifiés sur les questions de sécurité nationale. Il montre qu’en 1990 et 1991, des dirigeants occidentaux comme le président américain George Bush et le secrétaire général de l’OTAN Manfred Wörner, avaient déclaré au président soviétique Mikhaïl Gorbatchev ne pas être favorables à ce que des pays d’Europe centrale et orientale rejoignent l’OTAN… dans un contexte où personne n’imagine alors la rapide dislocation de l’Union soviétique à la fin de l’année 1991.

Le 14 décembre, le site de RT France s’emparait de l’étude de Savranskaja et Blanton pour titrer : « Des documents déclassifiés prouvent que l’OTAN avait promis à Gorbatchev de ne pas s’étendre à l’Est ». « Gorbatchev a-t-il été trompé par l’OTAN ? » s’interrogeait avec gravité le compte Facebook de cette chaîne de télévision internationale contrôlé par le gouvernement russe. Le site Sputnik, organe jumeau de RT, titrait quant à lui « Promesse non tenue : la garantie du non-élargissement de l’Otan vers l’Est enfin prouvée ? ». Une « info » rapidement reprise par plusieurs sites complotistes comme Al-Manar, AlterInfo.net ou Arrêt sur info.

Quelques jours plus tard, le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Pascal Boniface, se fendait d’un tweet partagé près de 500 fois expliquant que « Gorbatchev avait bien reçu des garanties du non élargissement de l’OTAN après la réunification allemande [chose que les] néo-conservateurs ont toujours nié ». « Ils sont désavoués par les archives de l’OTAN » concluait le géopolitologue, enfonçant le clou sur son compte Facebook« Ces engagements avaient été pris par James Baker, Georges Bush, les chef d’État et de gouvernement allemand, français, anglais et le secrétaire général de l’OTAN ».

Qu’en est-il réellement ?

Le tweet de Pascal Boniface a suscité les réactions affligées des spécialistes du sujet comme le directeur-adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) Bruno Tertrais et Olivier Schmitt :

L’affaire a finalement inspiré à Bruno Tertrais un thread cinglant en dix points mettant à mal la thèse de la « promesse occidentale » à la Russie :

« Ce fameux dossier n’apporte pas grand-chose de nouveau à ce qui était déjà connu. La référence, en termes d’analyse d’archives déclassifiées sur le sujet, reste le débat suscité par la revue International Security en 2016. Contrairement à certaines présentations qui en ont été faite, il ne s’agit nullement « d’archives de l’OTAN », mais de documents diplomatiques nationaux. Une promesse formelle fut bel et bien faite en 1990 : celle de ne pas faire avancer la « juridiction militaire » de l’OTAN au-delà de la frontière interallemande. Promesse tenue et codifiée dans le traité « 4+2 » de règlement de la question allemande : il n’y aura aucune force étrangère et aucune infrastructure de l’OTAN sur le territoire des nouveaux Länder (il n’y en a toujours pas). Contrairement à la lecture rapide (si elle a même été faite) de ces documents par certains commentateurs, ces documents ne recèlent aucune trace d’une promesse formelle, par les Etats-Unis, l’Allemagne (a fortiori par l’OTAN) de « ne pas élargir l’OTAN à l’Est ». On y trouve un engagement à « tenir compte des intérêts de sécurité soviétiques » (rappel : l’URSS n’existe plus) et à créer de nouvelles structures de sécurité en Europe (rappel : ce qui sera fait avec la transformation de la CSCE en OSCE et la création du Conseil OTAN-Russie). En mars 1991, John Major (qui au demeurant n’engageait que lui-même) disait à Gorbatchev : « l’élargissement de l’OTAN n’est pas sur la table ». Il disait vrai. Personne n’y pensera sérieusement avant 1993. Soit après l’éclatement de l’URSS et celui – sanglant – de la Yougoslavie. Episodes qui amenèrent Américains et Allemands à envisager d’accueillir favorablement dans l’Alliance certains anciens membres du Pacte de Varsovie. Ce qui n’empêchera pas les pays membres de l’OTAN de déclarer unilatéralement en 1997, pour « rassurer la Russie », que l’Alliance ne déploierait ni armes nucléaires ni forces de combat substantielles sur le territoire des nouveaux pays membres. Quant au titre du dossier, « What Gorbachev Heard », il contredit ce que dit… un certain Gorbatchev lui-même ».

Le chercheur fait allusion à une interview de Mikhaïl Gorbatchev datée d’octobre 2014. Ne cachant pas son amertume quant à la question de l’élargissement de l’OTAN et critiquant le « manque de volonté » des Occidentaux de « prendre en considération le point de vue de la Russie », l’ancien dirigeant soviétique confirmait toutefois que « le sujet de « l’élargissement de l’OTAN » n’a pas du tout été discuté, et n’a pas été évoqué dans ces années-là ». « Je dis cela en pleine responsabilité, ajoutait-il. Pas un seul pays d’Europe de l’Est n’a soulevé la question, pas même après la disparition du Pacte de Varsovie en 1991. Les dirigeants occidentaux ne l’ont pas fait non plus. Une autre question a été abordée : s’assurer que les structures militaires de l’OTAN n’évolueraient pas et que les forces armées supplémentaires de l’Alliance ne seraient pas déployées sur le territoire de la RDA d’alors après la réunification allemande. […] Donc, ne dépeignez pas Gorbatchev et les autorités soviétiques d’alors comme des gens naïfs que les Occidentaux auraient mené par le bout du nez. S’il y a eu de la naïveté, ce fut plus tard, quand la question a surgi. Au début, la Russie n’a pas fait d’objection ».

Créée en 1949, l’OTAN compte aujourd’hui vingt-neuf Etats membres (dernier en date : le Monténégro, depuis juin 2017) contre seize à la fin de la Guerre froide. La Bosnie-Herzégovine, l’ex-République yougoslave de Macédoine et la Géorgie sont candidates à l’adhésion.


Usul : du combat contre la « mythologie républicaine » à la tentation complotiste

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Tollé général sur les réseaux sociaux ! Fin décembre 2017, sur Twitter, une interview du youtubeur Usul refait surface. Le vidéaste, également chroniqueur sur Mediapart, appelle à « débloquer la démocratie » en « tabassant les flics ». Usul n’est pas seulement en guerre contre la « vision de la police très très Charlie » et ce qu’il appelle de façon plus générale la « mythologie républicaine ». Il semble aussi fasciné par la pensée « anti-système » d’Alain Soral et de ses compagnons idéologiques que, paradoxalement, il prétend combattre.

Usul interviewé sur RT France (capture d’écran)

Alors que Twitter durcit ses règles face aux « conduites haineuses », une interview récemment exhumée de Usul (datée de mai 2017) ne passe pas inaperçue. Le vidéaste, interrogé par le Bondy Blog, appelle explicitement à la violence contre les forces de l’ordre :

« La démocratie est bloquée […] on peut en effet la débloquer en gueulant un bon coup, en sortant dans la rue et en tabassant des flics ».

Pour Usul, un policier assassiné n’est ni plus ni moins qu’un accident du travail. « Il y a beaucoup plus de morts chez les routiers que chez les flics » relativise-t-il encore, avant de se lancer dans une explication socio-racialiste d’un corps de métier essentiellement composé de « jeunes Blancs de campagne, avec peu de diplôme et de qualification ». Dans une vidéo intitulée « Les flics (tout le monde déteste la police?) », postée le 28 septembre 2016, Usul opposait déjà sa conception « révolutionnaire » à celle « très très Charlie » de la police.

Face au tollé, Usul décide de répondre. Il choisit pour cela l’organe du Kremlin, RT France. Aucun mea culpa. Usul enfonce le clou et fustige une fois de plus « le sacré républicain » : « Je ne me suis jamais caché de ces opinions-là, ce n’est pas un dérapage, je le dis, je le théorise ».

Un combat paradoxal contre Soral

En 2014, cet ex-militant de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), qui se dit toujours communiste, quitte l’univers des jeux vidéo [1] pour revenir à ses premières amours… politiques. Comme nombre de chroniqueurs youtubeurs, il est impressionné par le succès des vidéos d’Alain Soral et frappé par l’emprise des idées de l’idéologue d’extrême droite sur ses amis. Dans son projet visant à inventer des outils critiques pour faire face au discours d’extrême droite, Usul est rejoint par d’autres youtubeurs pour réaliser des vidéos en commun. Ludovic Torbey, d’Osons Causer, en fait partie : « Osons Causer a amené un peu de renfort sur internet ! » explique Usul. Renfort ou confusion ? Également séduit par Alain Soral, tout en affirmant comme Usul le combattre, Ludovic Torbey ne voit par exemple « pas un micro de début de problème avec la blague de Dieudo » lorsque celui-ci proclame se sentir « Charlie Coulibaly ». Sur les réseaux sociaux, ce vidéaste qui donne du « cher collègue » au théoricien du complot Thierry Meyssan, relaie l’avocat de Dieudonné ou le prédicateur Tariq Ramadan. Il s’enthousiasme aussi, sur Twitter, pour les propos du polémiste « anti-impérialiste » belge Michel Collon qu’il découvre dans l’émission « Ce soir (ou jamais !) ».

Dans son entreprise consistant à nourrir une offre politique alternative à Soral et « une critique si possible fertile des discours dominants » (sic), Usul semble paradoxalement emprunter les mêmes chemins tortueux que ceux qu’il dit vouloir combattre.

Sur Radio Usul, le youtubeur et ses amis du Nesblog (blog des amoureux du jeu vidéo) ne tarissent pas d’éloges sur Soral : « Il a beaucoup de charme, beaucoup de charisme » dit l’un ; « il est très drôle » complète Usul. Seul grief à lui faire? L’inconstance de son discours et sa fâcheuse tendance à tout expliquer par le « complot juif ». Le public de Usul lui-même s’interroge sur ce qui distingue réellement les deux hommes. C’est à cette question que Usul répond, dans une autre émission :

« Soral va mettre le doigt très souvent sur des choses très justes. Y’a des choses avec lesquelles je suis complètement d’accord, notamment quand il dénonce la pensée unique, libérale. Il a complètement raison, sauf que lui, derrière, il plaque son roman avec des Juifs partout, avec un complot ».

Usul semble réellement conquis par le regard « anti-système » de Soral, mais écarte ses explications monocausales, trop simplistes à son goût. De son côté, Soral ne voit pas d’un mauvais œil le youtubeur politique, mais se désole de le savoir « acheté » par cette « officine trotskiste financée par l’oligarchie » (sic) que serait Mediapart, pour lequel Usul est devenu chroniqueur.

« J’ai pas mal de respect pour Marc-Edouard Nabe »

Usul flatte la nébuleuse identitaire, d’extrême gauche comme d’extrême droite. Il soutient les thèses décoloniales ouvertement racistes du Parti des Indigènes de la République (PIR), reprenant par exemple à son compte les propos d’Houria Bouteldja, porte-parole du PIR et soutien inconditionnel du Hamas : « C’est le reste de la société qu’il faut éduquer […] ce qu’on appelle nous les souchiens, les Blancs ». Usul semble paraphraser la militante indigéniste, dans une vidéo « La Polémiste Élisabeth Lévy » : « Il faut commencer à se taire, dit il, et écouter les non-Blancs, les lire et apprendre… ».

Marc-Edouard Nabe dans le magazine de Daech, « Dâr al-Islâm » (n°7, 30 novembre 2015)

Par ailleurs, il dédouane de tout antisémitisme l’écrivain d’extrême droite Marc-Edouard Nabe. « J’ai pas mal de respect pour Marc-Edouard Nabe » avoue-t-il, « s’il fait des blagues sur les Juifs, c’est parce qu’il est auteur », « la violence, c’est aussi la littérature ». Usul dit l’avoir « vu faire des choses assez extraordinaires » , comme aller voir des associations de musulmans évoluant dans la mouvance soralienne pour leur dire que « ce n’est pas tout de la faute des Juifs, il y a des problèmes sociaux… ». Usul a donc du « respect » pour un écrivain qui rêve d’une réconciliation entre Daech et Al-Qaïda « contre la Coalition » et fait l’apologie du terrorisme, de l’État islamique et de la décapitation, au point de voir les écrits de son magazine Patience repris dans un numéro de la revue Dâr al-Islâm de Daech (dix pleines pages dans le n°7 du magazine djihadiste !). Le 7 janvier 2015, lors d’un vernissage, Nabe exulte à l’annonce de chacun des morts de la rédaction de Charlie Hebdo. Il saute même de joie quand il apprend l’assassinat de Charb, « j’aurais vécu ça, ici avec vous » lançait ce proche de l’animateur Frédéric Taddéï [2], encore tout émoustillé. « Respect », en effet…

Le choix des intervenants dans les vidéos d’Usul [3] est aussi quelquefois surprenant : l’égérie des Journées de Retrait de l’Ecole (JRE), longtemps proche de Soral, Farida Belghoul par exemple, pour illustrer un simple propos sur SOS-Racisme. La forme choisie par Usul (l’humour, un montage très « cut », l’utilisation du second degré…) participe aussi du confusionnisme. Qui parle au juste ? L’image suggère ce que le vidéaste ne dit pas. Alors que Usul disserte par exemple sur la « liberté d’expression », des images de Dieudonné défilent. De même, la théoricienne du « féminisme islamique » Zahra Ali ou Tariq Ramadan apparaissent sur une voix off évoquant un islam « travaillé par un progressisme interne ».

Étienne Chouard ? « J’aime les gars qui pensent contre la doxa »

« Moi j’aime bien les gars qui réfléchissent et bousculent les idées reçues, qui pensent contre la doxa » dit Usul. Le youtubeur a trouvé en Étienne Chouard (lui-même admirateur de Meyssan, Soral et… Jacques Cheminade !) un homme « brillant » (sic). Au point qu’il le suit depuis 2011 et lui consacre en juillet 2014 une vidéo très élogieuse et documentée: « le citoyen Étienne Chouard ».

Capture d’écran d’une vidéo d’Usul consacrée à Etienne Chouard.

A l’instar de Chouard, Usul aime distiller une pensée du « tout se vaut ». De même que pour Chouard [4], l’extrême droite, les fascistes ce sont « les grands possédants, les industriels et les banquiers », Usul voit dans l’idéologie « du capital, des marchés et de ses acteurs » promue par Emmanuel Macron une « idéologie totalitaire ». « Pour les capitalistes, le fascisme a toujours été une tentation » explique-il dans « Le fascisme, c’est pas bien ». La vidéo, au titre explicitement ironique, vient comme en écho à une interview vidéo de Chouard « sur l’extrême droite et le fascisme ».

S’agit-il d’un coming-out soralien ? Certains de ses fans le pensent et l’en félicitent. Dès la publication, le vidéaste croule sous une avalanche de commentaires de soutien de l’extrême droite : « Ça pullulait de soraliens et de nationalistes » se souvient-il, visiblement surpris. Usul fait alors machine arrière. Il apporte un léger correctif à sa vidéo (vue près de 650 000 fois) qu’il maintient cependant en ligne : « Si Chouard n’est sans doute pas antisémite, il laisse beaucoup de portes ouvertes, et certainement pas les bonnes en cautionnant des idéologies intolérantes et contraires à l’idée d’une république égalitaire et progressiste ». Ahurissant euphémisme pour qualifier l’idéologie ouvertement « nationale-socialiste » d’Alain Soral – c’est ainsi que le polémiste se définit publiquement depuis 2013. Pour Usul, Chouard est surtout victime d’accusations assez similaires à celles qu’a connues Noam Chomsky lorsqu’il défendait la liberté d’expression du négationniste Robert Faurisson. Sur sa page Facebook, il reconnaît et regrette cependant, dans un éclair de lucidité, que Chouard « fricote activement avec Égalité & Réconciliation ».

Le complotiste, c’est l’autre.

Illustration d’une vidéo d’Usul consacrée à l’UPR.

Si par naïveté, ignorance ou passion anti-système il flirte bien souvent avec les extrêmes, Usul n’est pourtant pas une éponge à théories complotistes. Il décode même quelquefois assez bien les méthodes conspirationnistes. Il reconnaît ainsi que « le fond de commerce de l’UPR a beaucoup à voir avec le complotisme » puisque son président, François Asselineau, « se réfère essentiellement au caché, à la machination, à l’ennemi qui tire toutes les ficelles », généralement américain. Pourtant, il se fait quelquefois aussi le relais de rumeurs à teneur complotiste. Décrivant par exemple le prétendu alignement du quotidien Le Monde « sur la position de l’ambassade des États-Unis » (sic), il s’interroge : « Certains disent que l’ambassade des États-Unis a une taupe au Monde qui s’occupe de tout ce qui est politique internationale, c’est ce qui se dit, ce n’est pas absurde du tout ».

Très méfiant à l’égard des médias « mainstream » et ses « gratte-papiers et autres fouille-merde » auxquels il aime glisser des « saucisses » (allusion aux « quenelles » de Dieudonné et Soral), Usul s’oriente plus volontiers vers des sources d’information alternatives, très douteuses. Ainsi sur l’Ukraine, il conseille par exemple l’économiste chroniqueur de Russia Today Jacques Sapir. Il apprécie aussi le site écolo-confusionniste Reporterre (qui a notamment donné la parole à Jean Bricmont, Thierry Meyssan, Etienne Chouard, Michel Collon ou aux complotistes de ReOpen911). « On le sait, objectivement, la presse est hors de contrôle et ne semble plus être en état d’assumer sa contribution d’intérêt général au débat public » affirme-t-il, péremptoire, dans la vidéo « Ouvrez les guillemets : la presse et moi ». D’autant qu’elle constituerait selon lui une sorte de bloc monolithique et endogame : « A la télé ne s’exprime qu’une certaine frange de la population qui n’est pas la plus défavorisée […] un milieu homogène avec des gens qui se ressemblent, avec les mêmes savoir-faire, mêmes connaissances, mêmes réseaux… Je ne dis pas que ce sont des Juifs à la télé, ça c’est la version débile, la pente glissante vers laquelle tu peux aller »… Nous voilà rassurés.

 

Notes :

[1] Il lance avec succès, en 2008, 3615 USUL sur Dailymotion, et anime à partir de 2011 un blog sur jeuxvideo.com.

[2] Marc-Edouard Nabe et Frédéric Taddeï se connaissent de longue date. L’écrivain est d’ailleurs le parrain de l’un des enfants de l’animateur et ses livres ont régulièrement été présentés à « Ce soir (ou jamais !) » (CSOJ). A l’annonce d’une émission consacrée à l’affaire de l’interdiction du spectacle de Dieudonné M’Bala M’Bala le 10 janvier 2014, Frédéric Taddéï offrira à Nabe un dispositif sur mesure, sans aucun contradicteur, occasion inespérée de le faire passer pour une autorité morale et un indéfectible opposant de Dieudonné. Pour la troisième fois, et dans une autre partie de l’émission, Taddéï avait également invité ce soir-là – et aucun commentateur ne semble l’avoir relevé – le physicien et essayiste Jean Bricmont. Bricmont a entre autres participé à la conférence Axis for Peace organisée par Thierry Meyssan, milité pour la libération du négationniste Vincent Reynouard et signé la préface d’un livre de Gilad Atzmon qui pourrait sans peine figurer dans une anthologie de l’antisémitisme contemporain.

[3] Certaines vidéos de Usul sur Youtube se voient retirées pour non respect du droit d’auteur.

[4] Étienne Chouard se revendique à ce sujet de l’historien Henri Guillemin (que la sphère soralienne s’est récemment réapproprié et que Usul conseille d’écouter).

 

Mise à jour du 05/01/2018 (rectification) :
Une citation (« Moi, ma formation politique, c’est Alain Soral ») issue d’une interview vidéo d’Usul mise en ligne le 5 mai 2017, a été retirée du corps du texte. L’auteur a, de bonne foi, entendu Usul affirmer : « Moi, ma formation politique, c’est Alain Soral » (entre 0’32’’ et 0’42’’). Or, comme des internautes nous l’ont fait remarquer, en réécoutant attentivement la bande-son, il apparaît plus probable qu’Usul rapporte au style indirect ce qu’il entend parfois chez certaines personnes qu’il lui arrive de rencontrer. Le texte a été modifié en conséquence et nous présentons nos excuses à nos lecteurs pour cette erreur (La Rédaction).

Oui, l’Etat islamique s’attaque (réellement) au Hamas

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Quant au Hamas, il accuse Israël d’être derrière l’Etat islamique…

Au lendemain de la diffusion d’une vidéo de la branche Sinaï de l’Etat islamique (EI) prenant violemment à partie le Hamas [1] , Salah al-Bardawil, l’un des porte-paroles du mouvement islamiste et nationaliste palestinien, accuse l’Etat d’Israël d’être derrière cette production.

Une accusation qui alimente la thèse complotiste d’une collusion entre l’EI et Israël. Permettant aux adversaires de l’EI de le discréditer en jouant sur un antisionisme endémique, cette théorie du complot fut aussi bien alimentée par le Grand Mufti d’Arabie Saoudite,  que par le représentant de la Syrie à l’ONU, le président soudanais Omar el-Béchir ou encore Fidel Castro.

La vidéo diffusée mercredi 3 janvier 2018 via les chaines Telegram liées à l’EI, énumère une longue liste de griefs à l’encontre du Hamas, appelle à mener des attaques dans la bande de Gaza contre ses instances – ainsi que contre les chrétiens et les musulmans chiites de la Bande de Gaza – et met en scène l’exécution d’un Bédouin accusé d’avoir fourni des armes aux Brigades Ezzedine al-Qassam, la branche armée du Hamas.

Sur son compte Twitter, Salah al-Bardawil a immédiatement évoqué une « production sioniste », instrumentalisant des Arabes pour affaiblir la résistance [palestinienne], ce que les « renseignements sionistes ainsi que leurs laquais tentent de réaliser depuis longtemps ». Cette affirmation est également alimentée par certains activistes qui, ayant géolocalisé la scène de l’exécution près de Kerem Shalom, à la frontière entre Israël, l’Egypte et Gaza, veulent y voir une action du Mossad.

Qu’en est-il réellement ?

Si l’exécution par l’EI d’un collaborateur du Hamas n’a pas de précédent, cette vidéo est néanmoins bien une production de l’EI. Sa lecture objective ainsi qu’une mise en perspective de l’évolution des relations entre les deux groupes en attestent.

Tout d’abord, l’intégralité de la dernière minute est consacrée à la menace vis-à-vis des Juifs par Abou Kazem al-Maqdissi. Brandissant un couteau, ce djihadiste appartenant à la branche Sinaï de l’EI tient des propos peu équivoques :

« Pour les Juifs, nous avons aiguisé une épée puissante […], nous détruirons leur forteresse […] et réduirons en esclavages leurs aînés, leurs enfants et leurs vierges. […] Nos messages sont sur les lames des dagues, nous jubilerons de vous piétiner et de vous poignarder ».

De plus, les griefs affichés à l’encontre du Hamas, tant politiques (liens avec des Etats ou régimes considérés comme apostats ou laïcs, tolérance de la démocratie, objectifs nationalistes dans la lutte contre les juifs) que religieux (répression des groupes salafistes à Gaza [2]), ne sont pas récents [3] et s’inscrivent dans la ligne idéologique de l’EI.

Déjà confronté au violent antagonisme des partisans de l’EI au cours des derniers mois, le Hamas aurait tenté, en évoquant une thèse conspirationniste, de calmer le jeu sur le front intérieur en désignant Israël comme le véritable ennemi commun.

 

Notes :

[1] « Millat Ibrahim », al-Hayat Media, Wilayat (Province) Sinaï, le 3 janvier 2018.

[2] La vidéo met en scène des images du prédicateur djihadiste Abdel Latif Moussa tué en 2009 par le Hamas après avoir déclaré la création d’un Emirat islamique à Gaza.

[3] A titre d’exemple, le numéro 7 du magazine francophone de l’Etat islamique Dar al-Islam (novembre 2015) évoque « la méthodologie égarée du Hamas et sa gouvernance par autre que la loi d’Allah ».

Une grande enquête sur le complotisme dans l’opinion publique française révèle une réalité alarmante

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Alors que la France commémore le troisième anniversaire des attentats de janvier 2015, Conspiracy Watch et la Fondation Jean-Jaurès se sont associés pour commander à l’IFOP une étude permettant d’estimer la pénétration du complotisme dans la société et d’approcher plus finement le profil de ceux qui adhèrent à ce type de contenus.

C’est l’enquête d’opinion la plus ambitieuse jamais réalisée à ce jour auprès du public français.

Réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 19 au 20 décembre 2017, cette étude a été menée auprès d’un échantillon de 1 000 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, complété par un sur-échantillon de 252 personnes de moins de 35 ans, qui ont été remises à leurs poids réel au sein de l’échantillon lors du traitement statistique des résultats.

L’enquête confirme que le conspirationnisme est un phénomène social majeur concernant, dans sa forme la plus intense, pas moins d’un Français sur quatre. Seul un Français sur cinq y semble hermétique. Elle met également en évidence que les jeunes sont, comparativement à leurs aînés, nettement plus perméables aux théories du complot, sauf sur certaines portant exemple sur le réchauffement climatique ou l’immigration. L’étude confirme enfin que le conspirationnisme est corrélé avec le vote vote populiste – de gauche ou d’extrême droite.

 

En savoir plus :

Rudy Reichstadt dans l’émission de Ruth Elkrief (BFM TV)

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Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch, était l’invité de Ruth Elkrief, lundi 8 janvier 2018, sur BFM TV.

 

Enquête sur la complotisme : précisions sur la méthodologie

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Suite à la publication de notre enquête dressant un état des lieux en France des thèses conspirationnistes, quelques interrogations sont apparues de différents horizons s’agissant de la méthodologie. Jérôme Fourquet, directeur du département « Opinion et statégies d’entreprise » de l’Ifop, y répond.

À la demande de la Fondation Jean-Jaurès et de l’Observatoire du conspirationnisme, l’Ifop a réalisé une grande enquête visant à mesurer la notoriété et la diffusion des principales thèses conspirationnistes dans la société française mais aussi le degré d’adhésion potentielle du grand public à ces différentes théories.

Pour ce faire, nous avons eu recours à une méthodologie classique, à savoir un sondage auprès d’un échantillon représentatif de 1000 personnes âgées de 18 ans et plus. La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession, catégorie d’agglomération et région). L’enquête a été réalisée on line, comme la majorité des sondages depuis quelques années. Ce mode de recueil est particulièrement adapté à ce type de sujets, à l’opposé des sondages par téléphone ou en face-à-face, où une partie des interviewés n’ose pas dévoiler ses opinions à l’enquêteur de peur qu’elles soient jugées comme étant illégitimes ou « politiquement incorrectes ». En ce sens, cette étude portant sur les théories du complot et le rapport au « Système », il nous est apparu tout à fait judicieux de recourir à une enquête on line dans laquelle le sondé peut s’exprimer en totale liberté devant son écran sans craindre d’être jugé par un enquêteur.

La nature du thème de l’enquête nous a également amenés à accroître la taille de l’échantillon de départ en adjoignant à l’échantillon classique de 1000 personnes un sur-échantillon de 250 interviewés âgés de 18 à 35 ans afin de disposer d’effectifs statistiques renforcés dans les jeunes générations dont différents travaux de recherche ont montré qu’ils pouvaient être plus exposés et sensibles à ces théories.

Nous avons donc mis en place un dispositif méthodologique robuste pour réaliser ce sondage. Comme il s’agissait de la première grande étude sur le sujet, des aspects sont sans doute perfectibles et, au regard des enseignements tirés des résultats, des ajustements pourront être apportés si nous sommes amenés à travailler de nouveau sur ce sujet relativement nouveau. Ce caractère novateur a suscité de nombreux commentaires mais quelques critiques ont également été portées sur la méthodologie.

Nous avons recensé les plus fréquentes et nous y apportons ci-dessous des réponses.

  • Différentes thèses et opinions sont testées dans cette enquête et elles ne relèvent pas toutes de la théorie du complot

Effectivement, le parti pris retenu était de brasser large et de passer en revue toute une série d’opinions et de thèses de nature différente. De notre point de vue, tous les items testés ne s’apparentent pas au même corpus idéologique et il ne s’agissait pas pour nous de pratiquer un quelconque amalgame. Le but de l’enquête était de disposer d’un état des lieux le plus exhaustif possible mais aussi de voir si l’adhésion à certaines thèses étaient corrélées (ce que prouvent les données d’enquête) avec l’approbation d’opinions sur des sujets très différents, relevant tous d’une grille de lecture alternative réfutant l’explication officielle et communément admise.

  • Les sondés ont été amenés à se positionner sur des thèses ou opinions qu’ils ne connaissaient pas

L’architecture du questionnaire était conçue en deux temps. On mesurait tout d’abord la notoriété de différentes théories pour évaluer quel était le niveau de diffusion de chacune d’elles. On sait en effet que ces théories circulent sur le mode viral et il était donc intéressant de pouvoir quantifier thème par thème combien de Français avaient déjà entendu parler du sujet en question.

Dans un second temps, que les interviewés en aient déjà entendu parler ou non, ils étaient appelés à exprimer leur niveau d’adhésion à chacune des thèses testées. Il s’agissait d’évaluer le crédit apporté à ces théories ou opinions et la propension des Français à y adhérer spontanément. Même sans avoir déjà vu, lu ou entendu cette thèse, les sondés nous semblaient pleinement en mesure d’indiquer dans le cadre de l’enquête si telle ou telle thèse leur paraissait crédible ou plausible.

Quand l’enquête indique par exemple que 20 % des Français se disent d’accord avec la thèse des « Chemtrails » (sur les traînées blanches laissées dans le ciel par les avions), nous n’en concluons pas qu’un Français sur cinq a déjà entendu parler de cette idée et la partage mais que, confrontée à cet argument, une personne sur cinq y adhère spontanément.

  • Le questionnaire ne prévoyait pas de « ne se prononce pas »

Le questionnaire comprenait pour l’essentiel des questions de notoriété et d’approbation. Pour ce qui est de la notoriété (« avez-vous déjà entendu parler ou non ? »), le « ne se prononce pas » ne fait pas sens et ne s’impose pas. De la même façon, pour la question d’approbation, compte tenu de la nature des items proposés, il nous a semblé que les interviewés seraient en mesure de se positionner assez aisément sur une échelle d’approbation et d’indiquer s’ils étaient d’accord ou pas avec ces assertions. Afin de nuancer le jugement et d’exprimer les doutes, une échelle en quatre points a été retenue : tout à fait d’accord, plutôt d’accord, plutôt pas d’accord et pas d’accord du tout.

  • La construction de l’indicateur est opaque

Afin de synthétiser les résultats de l’enquête, nous avons construit un indicateur. Cet indicateur prenait uniquement en compte les onze items testés dans la batterie principale de l’enquête (les résultats aux autres questions et notamment celle sur le rapport aux médias n’entraient pas dans la construction de cet indice). À partir de la question d’approbation à cette batterie de onze items, nous avons calculé quelle était la proportion de l’échantillon qui n’adhéraient à aucune de ces opinions, à une, à deux, à trois etc.

Au total, on peut retenir la répartition suivante de la population :

  • 53 % de la population n’adhèrent à aucune ou à une ou deux de ces thèses : il s’agit du public qu’on peut qualifier de « relativement hermétique » à ces différentes thèses.
  • 22 % de la population adhèrent à 3 ou 4 de ces thèses : il s’agit d’un public qu’on peut considérer comme relativement perméable à ces théories.
  • 25 % de la population adhèrent à 5 voire davantage de ces thèses : il s’agit d’un public potentiellement fortement réceptif à ces grilles de lecture et ces discours.
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